Projets : Classe Écritures : Tanguy Viel

Le choix difficile

Maxime

Je me le rappelle comme si c’était hier, un samedi ordinaire. À cette époque j’étais en colocation avec Tim. On se connaissait depuis le lycée, alors on avait emménagé ensemble après le bac. C’est moi qui lui avais proposé d’emménager avec moi, vu que c’était mon meilleur ami. Je me souviens du jour où on est allé chez IKEA, et déjà à ce moment-là, on avait trouvé le moyen de se disputer pour une sombre histoire de cintres. Lui, il voulait le modèle « BJORDY » et moi le « ACEFGK », oui, les noms suédois… Quand on a monté les meubles, il se trouve que j’étais malade, mais il lui suffisait juste de suivre le plan… Résultat : tous les meubles étaient bancals, j’ai dû tout remonter le lendemain pendant que lui jouait à Super Mario… non mais sérieusement ! Mais bon... « meilleurs amis », que disait l’autre, et bah il a bon dos l’autre ! Mais en attendant, c’était le début de notre belle et grande (et fausse) colocation... Et donc, j’en viens au fait : chaque samedi on avait un rituel à nous, on regardait des séries mais voilà, un jour ça s’est très mal passé. Il voulait regarder La Casa de Papel.

Tim

La Casa de Papel est une série d’action où le but est de cambrioler la grande banque espagnole, le tout dirigé à distance par Le Professeur pendant que les membres de son équipe, Rio, Nairobi, Tokyo, Moscou, Lisbonne, Denver et Berlin, essayent de cambrioler la banque au péril de leur vie. Mais Maxime, lui, ne veut pas regarder La Casa de Papel. Maxime, lui, veut regarder Lupin, le gentleman cambrioleur, une série que je n’aime pas beaucoup car le personnage principal est méchant, et j’ai vu la bande annonce donc je sais de quoi je parle. Je ne comprends pas pourquoi il aime cette série. Surtout, pourquoi il s’obstine comme ça. Je commence à m’énerver quand la sonnerie du micro-ondes me signale que les pop-corns sont prêts. Je pars chercher mes sucreries mais le temps que je revienne, il n’y a plus personne, et je reconnais le claquement singulier de la porte d’entrée.

Maxime

Moi, c’est vrai, je voulais regarder Lupin, le gentleman cambrioleur, une super série, avec un acteur super connu. C’est à cause de ça, notre dispute, enfin… pas vraiment, mais disons que c’est l’élément déclencheur. Ce qu’il oublie de dire, c’est qu’il a commencé à crier comme un bébé. Vraiment j’en avais plus que marre, si bien que, oui, j’ai fini par quitter l’appartement en claquant la porte.

Tim

Sérieusement ! Il m’énerve quand il fait ça ! Il est encore parti en me laissant seul. Cela me fait penser à un jour, où j’étais allé au parc... C’était pendant mes années lycée... C’est là-bas que j’ai rencontré Mélissa, mais aussi, bien évidemment Maxime. Il faut préciser que Romain, mon meilleur ami d’enfance, m’avait conseillé d’aller au Parc du Laurier centenaire, un petit parc à côté du lycée où beaucoup d’enfants jouaient avec les graviers, les copeaux de bois et les aires de jeux composées de toboggans et de balançoires. Dans ce parc, il y avait aussi de belles fleurs, un petit lac avec un joli pont au-dessus, quelques insectes et des machines pour faire du sport. Depuis que Romain m’avait parlé de ce parc, j’y allais tous les jours après les cours, mais après deux ou trois semaines, un miracle est arrivé. À ma plus grande joie Mélissa est venue au parc. Elle m’a regardé et je l’ai timidement conviée à me rejoindre sur un banc pour parler :
« Salut Mélissa ! Tu veux venir t’asseoir avec moi ?
– Oh ! Salut Tim ! Pourquoi pas ! J’arrive !
– Que fais-tu là ? Je ne t’ai jamais vue traîner ici ?
– C’est Maxime qui me l’a conseillé !
– Ah oui ? Maxime ? questionnai-je, étonné.
– Oui, Maxime, me dit-elle, visiblement agacée.
– Et qu’est-ce qu’il t’a dit au juste, Maxime ?
– Il m’a dit qu’un très beau garçon passerait dans les parages. »
Je fus surpris dans le bon sens : était-ce moi ce bel homme ? Mais j’ai à peine eu le temps de rêver que Maxime est arrivé. Après son retour, tout s’est passé très rapidement : il a discuté avec Mélissa, l’a embrassée et ils sont partis tous les deux, ensemble, me laissant seul, le cœur brisé, tandis que la pluie commençait à tomber. Voilà, vous savez tout, et ce jour-là, je me suis cru dans un dessin animé, avec le petit nuage de pluie au-dessus de ma tête.

Maxime

J’ai descendu les escaliers très en colère, je suis sorti dans la rue sombre et je suis allé dans un parc. Pourquoi ? Parce que ! J’avais envie de m’asseoir sur un banc, froid et dur, et en plus la nuit il n’y a personne, parfait, j’aime les parcs et surtout quand il n’y a personne à l’horizon. J’ai toujours aimé les parcs. Je me souviens de la première fois il y a longtemps, c’était… un peu magique. Je voyais de belles fleurs, roses et blanches, de grands et majestueux arbres, un sol granuleux, parsemé de feuilles mortes. J’entendais le chant des oiseaux, doux et reposant, les forts et stridents bruits de voitures, et les bruits sourds des marcheurs. Un beau soleil, pour 14°C. Pourquoi j’étais allé dans ce parc ? Je ne sais plus mais depuis ce jour, je viens autant que je veux pour être tranquille et seul. Mais au bout d’un moment, je me suis dit que laisser un bébé tout seul, ce n’était pas une très bonne idée. J’ai beaucoup réfléchi et je vais lui pardonner, je pense, j’espère ; bon je me retrouve devant la porte de notre appartement, j’avance ma main vers la poignée. Je me souviens de la première fois où j’étais entré dans cet appartement, on s’entendait bien. Je m’avance vers la porte du couloir vide, j’entends le bruit de sa série, j’expire, je suis tout mouillé à cause de la pluie, je veux ouvrir la porte mais...

Tim

Je me retourne pour aller ouvrir la porte, j’enclenche la poignée, ouvre, et me voilà nez-à-nez avec ce cher Maxime Chatelain ! Il ne faut pas que je m’énerve !...

Maxime

Il est là, en colère, rouge comme une tomate. Je m’avance vers lui pour m’excuser mais...

Tim

Garder mon calme ! Garder mon calme ! Et puis c’est trop !...

Maxime

Il me crie dessus, il essaie de me prendre par ma veste... J’essaie de lui parler, vraiment, mais il ne me laisse pas parler. Je le pousse pour passer, pourquoi ? Il ne voulait pas me laisser passer, tout simplement...

Tim

Je parviens à me défaire de lui et je vais jusqu’à la table du salon où j’attrape la télécommande de la télévision, et je la lui lance à la figure.

Maxime

Ce lâche…Toujours à fuir, toujours, depuis le lycée même. Par exemple le premier jour, il était en retard. Pourquoi ? Il voulait échapper à l’effort, ce bon à rien, mais je ne savais pas ça à l’époque. Au début, je lui avais juste prêté un simple stylo… UN STYLO ! Et après cela il avait commencé à vouloir être mon ami, je le redis : un stylo… Et je pense que tout est parti de là, cette fausse amitié.

Tim

Le son de la télévision, qui passe toujours La Casa de Papel, se met à monter de façon incontrôlable. À ce moment, je ne pense plus à ma dispute mais aux voisins : la porte est ouverte et la télécommande que je viens de balancer à travers la pièce est bloquée sur le bouton du volume. Le concierge nous avait prévenus depuis longtemps : s’il entendait encore une fois la télévision, nous serions renvoyés ! Le son fait comme un compte à rebours inversé : 44 ; 45 ; 46… La tension monte comme dans un film d’action. Il faut que j’arrive à éteindre la télé avant que le concierge arrive !

Maxime

Je reprends pied dans la réalité, j’entends la série de plus en plus fort, mais qu’est-ce qu’il fait ? Mince ! Les voisins, le concierge, non, non, non !... Je cours vite vers le salon.

Tim

Je suis devant la télévision mais le son est monté à 96 ! Je m’approche, l’index en avant ! 98 ! Je suis tout près ! 99 ! Allez ! 100 ! Et puis plus rien ! Ouf, sauvés ! Mais... trop tard... Le concierge, monsieur Trunier, s’avance vers moi en hurlant : « Qu’est-ce que vous foutez, Ferronio ! Pourquoi vous faites rugir la télé ! Et vous, Chatelain ! Vous pouvez pas surveiller votre pote ? Dire que je vous avais pris par amitié pour vos parents ! Bande d’ingrats ! » Monsieur Trunier était effectivement un ami de nos parents depuis le lycée, malgré ses huit dents en moins et sa barbe mal rasée. Les voisins qui étaient sortis dans l’escalier ont décrété que nous étions renvoyés pour tapage nocturne. Maxime, revenu à lui, me prend par le col et me soulève en criant : « Tim, à cause de toi on est virés ! Tu te rends compte ! On est vi... » Une violente suite d’éclairs transperce le ciel de ses dizaines de lames lumineuses et stoppe la phrase de Maxime, puis nous fige sur place. Le bruit des voitures qui dérivent sur les routes inondées nous affole tandis que nous nous affairons à fermer les fenêtres. Maxime part dans sa chambre pour faire ses valises en annonçant haut et fort : « Je vais chez ma petite amie ! »

Maxime

Ce soir-là, je suis parti chez Mélissa et Tim, lui, allait être renvoyé de l’appartement pour tapage nocturne. Le juste retour des choses je pense : moi qui travaillais et lui non, moi qui me débrouillais et lui, non…. lui qui retourne chez ses parents et pleure, et moi qui vis ma vie dans mon coin. C’est mon histoire avec ce faux ami… Tim… qui était parfois un vrai ami que je regrette un peu, avec tous ces bons moments…

Tim

Voilà, il faut que je quitte la colocation. Je m’effondre en sanglotant. Trunier essaye tant bien que mal de me calmer. Il m’aide à porter mes valises, puis me laisse fermer symboliquement la porte d’entrée comme si je scellais mon ancienne vie dans cet appartement. Trunier m’accompagne jusqu’à l’arrêt de bus qui me permettra de rejoindre la villa de mes parents. Après un dernier adieu, je monte dans le car pour commencer ma nouvelle vie sans Maxime. Ce dernier, je n’en doutais pas, devait vivre de bons moments avec Mélissa. Au travers de la vitre du bus, je voyais les trombes d’eau chuter, sans s’arrêter, et je repensais aux bons moments que j’avais tout de même vécus, sans sarcasme, avec ce cher Maxime Chatelain, que j’espère revoir un jour…

Hugo et Lucas