Classe Écritures : Johary Ravaloson

See you later alligator

Prologue

Je me rappellerai toute ma vie ce jour où un orage s'élargissait dans le ciel, et les gouttes de pluies coulaient le long des carreaux. Comme si le monde était déjà au courant, et moi j'étais là dans le salon, impuissante, à regarder les gens passer de l'autre côté de la rue, espérant voir un visage familier !

Je me souviendrai de mon père en larmes qui tentait de me parler des choses complexes de la vie, la mort...

Mais en voyant mon regard perdu, il alla droit au but : ma mère n’était plus de ce monde, elle avait rejoint le ciel. À ce moment-là mon cœur me fit si mal que je me tins le ventre ! Quand je compris que je ne verrais plus ses yeux bleu clair, dans lesquels j'aimais me plonger, que je n’entendrais plus son rire cristallin, que je ne pourrais plus la serrer dans mes bras et sentir son doux parfum, ce fut comme si autour de moi, tout partait en mille morceaux !

Ce soir-là une nouvelle étoile avait rejoint le ciel ! Et c'était la plus belle de toutes.

C’était il y a cinq ans et pourtant quand j'y repense, je ne peux m'empêcher de pleurer.

1

Aujourd'hui est une journée comme les autres, où mon père vient me réveiller pour m'emmener en cours dans sa « magnifique » voiture verte datant du moyen-âge, enfin à peu près !

Puis il me dépose au carrefour, où je retrouve Emma et j'entends la sonnerie annonçant le début des heures les plus longues de notre vie. Surtout si vous êtes à l'établissement Winchester's School où on apprend aux élèves à devenir responsables, etc...

— Pff, le cours de géo était vraiment nul, tu ne trouves pas ? Emma qu'est-ce que tu as ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?

— Non, non, rien... c'est juste que Justin et Zac n'ont pas arrêté de te regarder, c'était juste trop chou !

— Rooo, arrête, je m'en fiche complet, tu sais très bien que ces gamins ne m’intéressent pas. Ils ne connaissent rien à la vraie vie !

— Tu ne diras pas ça quand tu rencontreras le bon.

— T'es trop fleur bleue, j'ai des choses dans la vie bien plus importantes que l'amour !

Nous sommes rentrés en maths et Emma me taquinait toujours sur les garçons qui me regardaient souvent car ils étaient tous à mes pieds. Elle avait beau aimer me taquiner, je savais qu'au fond, si elle ne le faisait pas, ça me manquerait. Emma était la seule personne qui m'aidait à rester debout depuis longtemps.

Puis le soir en rentrant chez moi, je dépose sur le bureau mon zéro de la journée et mon heure de colle puis je m'installe sur le canapé du salon où comme souvent les jours de pluie je m'ennuie. Je médite sur ma vie en me demandant si elle aurait eu la même allure si certaines choses s’étaient passées autrement.

Et forcément dès que mon père rentrait, il ne prenait même plus la peine de regarder les papiers empoisonnés posés à l'entrée. Et venait m'embêter pour mon éducation assez miséreuse. Je m’énervais et ne voulant plus rien entendre, j'allais dans ma chambre en claquant la porte, voulant partir à l'autre bout du monde dans un endroit sans problème. Pour me calmer, je regardais le cerisier dans le jardin en imaginant ma mère auprès de moi.

Ce matin, pour me changer les idées, je décide d'appeler ma meilleure amie et d’aller manger une glace avec elle. Je lui envoie un texto pour la prévenir. Ensuite je vais essayer de tirer papa de la salle de bain.

— Pap's ! gémis-je en tambourinant de toutes mes forces contre la porte. Qu'est-ce-que tu fabriques ?

— Je me prépare.

— Sérieusement, toi te préparer ? C'est à peine si tu te passes un coup de peigne le matin.

La porte s'ouvre, laissant passer mon père.

— C'est bon la voie est libre, dit-il tout sourire.

— Tu t'es mis du parfum ?

— Oui, j'ai un rendez-vous important.

— Hum ok, moi je sors avec Emma.

Il me prend dans ses bras et me laisse là, pensive. Depuis quelques temps, j'ai l'impression qu'on ne se comprend plus lui et moi.

Quand j'entends le vibreur de mon téléphone je l’attrape au passage et décroche.

— Ça va être génial ! s'écrie Emma, surexcitée. Pense à prendre tes rollers.

— J'espère que t'as travaillé tes appuis ?

— Tu me crois si je dis oui ? On passe te chercher à onze heures. Tu déjeuneras avec nous.

Déjeuner chez les Parker est toujours une expérience incroyable. Leur repas se compose de chips - notamment des Pringles – de pizza, de coca et de pâtisseries, bref, de tout ce qui me fait rêver depuis que maman n'est plus là et que papa ne jure que par le bio. Pourtant, en dépit d'un tel régime, Emma a une taille de guêpe. Elle fait du jogging avec sa mère, Shirley, et son frère Gus. Ils ne parlent jamais de leur père, qu'Emma appelle « l'homme invisible », ce qui nous fait une sorte de point commun. Shirley, sa mère, lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Je fonce à l'entrée en une seconde, super excitée à l'idée d'aller en ville ! Avant de sortir, je jette un coup d’œil à la fenêtre et dis : « bonne journée maman !

2

Dans l'allée, Emma m'attend, souriante, et me prend dans ses bras. Je monte dans sa voiture qui sent l'orange, où Gus est enfoncé dans le siège arrière, coiffé d'une casquette de base-ball crasseuse qu'il porte à l'envers.

— Je monte derrière avec lui, déclare Emma en grimaçant. Pousse- toi.

— Salut, Gus !

— Salut, Lou, réplique-t-il en reniflant.

— T’as pas à t’en faire, il va déjeuner chez les Splodger, lance Emma pour me rassurer.

Après un super bon repas, nous prenons toutes les deux notre paire de rollers et nous sortons.

— Lou, attends-moi !

— T'as qu'à aller plus vite, dit-je en accélérant.

Une fois qu'elle m'a rattrapée, nous nous arrêtons pour manger une glace chez Holly's, notre marchand préféré car il nous rajoute toujours à moi et Emma une double portion de noisettes grillées.

— Tu y arrives de mieux en mieux, lui dis-je en faisant la même grimace qu'elle avait faite la première fois qu'elle était montée sur des patins à roulettes.

— Na, na, na..., tout le monde n'est pas une pro comme toi.

— C'est vrai, on ne peut pas tous être parfait comme moi !

Nous avons ri en dégustant notre glace préférée. Je me rappelle encore notre rencontre avec Emma comme si c'était hier. On était en CE1 dans la cour près du toboggan hyper flashy à s’en brûler les yeux mais qui avec le temps avait perdu sa couleur. Dans l'air se baladait une bonne odeur de caramel sucré avec le doux soleil qui tape nos visages et réchauffe tellement nos petits cœurs !

À un moment, une brunette à lunettes, tout l'inverse de moi, me bouscula :

— Aïe...

— Désolée ! Excuse-moi.

— Non, ce n'est pas grave, lui dis-je. Je ne vais pas en mourir !

Elle sourit et dit :

— C’est toi la nouvelle ? Enchantée, je m'appelle Emma et toi ?

— Moi, c'est Lou.

— Tu es toute seule ?

— Ouais, je viens juste de finir de visiter l'école.

— Cool, t'as vu, c'est pas mal ici.

— Ça a l'air, en tout cas j’espère que ce sera mieux que mon ancien établissement, il n’était pas terrible, la preuve, ils m'ont virée !

— Oh...désolée.

— Pourquoi ? Mon père a beau dire que c'est ma faute, moi je pense plutôt que c'est la vie, un jour on rentre à l'école, un jour on en ressort, j’étais juste trop en avance, t'es pas d'accord ?

— Tu dois avoir raison enfin... je crois. Bref tu vas pas rester plantée là ? Viens jouer avec moi, dit-elle toute souriante.

Juste avant qu'on aille s’asseoir sur un banc j'avais remarqué que quelque chose avait glissé de la poche de sa jupe couleur crème.

— Attends, tu as fait tomber quelque chose, lui avais-je dit.

Elle s’était baissée et avait ramassé ce qu’elle avait fait tomber.

— Merci, c'est mon deuxième badge porte-bonheur, en cas de perte.

En disant cela elle m’avait montré celui déjà attaché à sa veste. Dessus était dessiné un alligator albinos suivi d'un petit cœur disant « I love you ».

Elle m'avait expliqué qu'elle était fascinée par les alligators et que son préféré était plus précisément l'albinos. Je lui avais confié que moi aussi j'aimais beaucoup les alligators et tout particulièrement celui-là ! Elle m’avait dit donc :

— Si tu veux, je te le donne, comme je te l'ai dit, j'en ai deux, on va dire que ce sera une sorte de badge d'amitié, de sœurs alligators !

— Vraiment merci, mais je ne peux pas.

— Mais si j'insiste mais à une condition...

— Laquelle ?

— Pour se dire bonjour ou pour une toute autre raison, on devra se dire : « See you later, alligator ! ». Je trouve ça beaucoup plus fun !

Elle m'avait accroché le badge.

— Amies ?

— Amies, lui répondis-je.

Une fois assises sur notre banc, nous avions continué à parler de tout et de rien et plus tard nous allions créer une association pour sauver les alligators albinos. Comme si une bulle de bonheur nous entourait et que nous étions séparées des autres autour de nous ! Depuis nous ne nous sommes jamais quittées et je pense que l'on ne se quittera jamais !

3

— Emma on rentre ?

— Yes, mais à pieds, je suis épuisée.

Nous regardons de chaque côté de la route et avançons sur le passage clouté. Je regarde mon amie. Ses cheveux bruns brillent au soleil. Elle rit la bouche grande ouverte. Elle n'a jamais eu l'air aussi heureuse et moi non plus. Et dans le lointain, au-delà de son beau visage rayonnant, une forme sombre surgit, énorme, et remplit l'horizon.

Je suis déjà allée ici, dans mes cauchemars...

Soudain,il y a un sifflement déchirant,comme cinquante bouilloires qui arrivent en même temps à ébullition. Suivi d'un terrible crissement de métal heurtant une autre surface. Je vois des étincelles. Des cheveux se répandent sur mon visage et un soleil blanc enfonce ses rayons dans mes yeux, comme des épées. Tout est noir. J'ai l'impression de nager sous l'eau, dans un lieu très froid, seule. J'ai peur. Il n'y a pas de bruit. Pas le moindre écho du rire d'Emma.

Lecteur, à toi de faire un choix, si tu décides de suivre les pensées de Lou, continue de lire ce texte. Si tu décides de suivre les pensées d'Emma, clique sur "voir la fin alternative."

Voir la fin alternative

Emma, où es-tu ?

Peut-être suis-je endormie. Quand je me réveillerai, je serai chez moi dans mon lit, bien au chaud, en sécurité. Dans quelques instants, il sera 5h30 et j'entendrai le cocorico de mon réveil.

Papa,prends-moi dans tes bras,s'il te plaît.

Peut-être suis-je morte. Condamnée à nager pour toujours dans un océan noir et sans âme. Non, c'est impossible.

J'aperçois ma mère et Emma, elles me tendent leurs mains, mais dès que je veux les prendre, leurs silhouettes s'enfoncent dans l'obscurité ! C'est bizarre ! Malgré le vide dans lequel je me trouve, je les entends parler, mais leurs voix sont comme des murmures portés par le vent.

Emma me dit :

— Promets-moi de ne pas m'oublier et de ne pas me remplacer !

Sa voix est remplie de larmes.

— Je...je te promets, mais pourquoi tu dis ça ?

— Tu verras, construis-là pour nous deux, l'association, ok... See you later alligator ! Puis elle s’efface.

J'entends aussi Shirley se faire des reproches :

— Si seulement je leur avais dit de rester, Lou aurait évité ça et ne serait pas dans ce fichu lit d'hôpital ! Mon Emma, mon bébé, serait toujours de ce monde...

Puis papa lui dire qu'on ne pouvait pas savoir et que ce n’était pas leur faute. Bizarrement le chauffeur du 4x4 en veut à la personne avec laquelle il parlait au téléphone lorsqu'il nous a renversées.

Je ne vous pardonnerai jamais...

À quoi ça rime de se faire ou non des reproches ? Cela ne change pas la réalité de ce qui s'est passé. Appeler ça « un accident » est plus commode pour tout le monde, parce que, comme ça, personne n'est à blâmer. Je pourrai aussi accuser les glaces. Il devrait y avoir un avertissement officiel du gouvernement : « interdiction de traverser la rue après avoir mangé une glace. Danger de mort » !

Maman,j'ai peur...

Je n'ai pas l'impression d'être morte, et je ne me sens pas vraiment vivante non plus... Et là devant mes yeux, se tient la personne que j'ai toujours rêvé de revoir. Mais pourtant je ne sais pas quoi lui dire. Alors quand elle me dit : « Bonjour ma chérie », je m’effondre, secouée par des sanglots. Puis, comme lors de ma première chute, elle me prend dans ses bras et me fait un de ces câlins qui vous réconforte instantanément, le câlin que j'attendais depuis si longtemps !

— Lou, qu'est-ce que tu as grandi, tu es devenue un vrai petit bout de de femme. Nous n'avons pas beaucoup de temps, alors écoute- moi.

Je hoche la tête encore sous le choc.

— Tu te trouves à l'endroit entre la vie et la mort, mais sache que toi, et toi seule, es la maîtresse de tes choix, ne l'oublie pas. Qu'importe ton choix, personne ne t'en voudra. Car quand tu seras prête, tu devras soit juger que ta vie se termine ainsi et dans ce cas tu me retrouveras dans un autre monde. Soit tu rejoindras ton père qui a bien besoin de toi. Je sais que tu feras le bon choix ! Rappelle-toi la comptine que je te chantais petite : « jolie poupée, regarde au-dessus de toi dans le ciel, un arc en ciel brille de mille éclats. Fais ce que ton cœur te dicte et ça ira. » Tu sais, je serai toujours en toi, là où l'amour est plus fort que tout ! Que ce soit dans quelques instants ou dans très longtemps, on sera un jour tous les trois réunis. Je t'aime.

Je t'aime aussi...

4

De nouveau seule, je sais le chemin que je dois prendre même si ça fait mal, mais je dois rejoindre mon père et Emma. J'ai encore des choses à faire sur Terre !

Alors j'essaye de nager pour remonter à la surface, mais les ténèbres ne s'éclairent jamais. Il n'y a pas d'issue, cher cerveau. Nous sommes vaincus. La vague s'écrase, m'enroule encore et encore, me remplit les poumons, m'anéantit sous sa puissance. Je ne sens rien, à part une faible vibration, comme un roulement de tambour qui n'en finit pas. C'est peut-être mon cœur. Ou le souvenir que j'ai un cœur qui bat.

Depuis combien de temps suis-je ici ? Personne ne peut me répondre.

Vous ne pouvez pas me forcer à partir si je ne suis pas prête quoi ou qui que vous soyez ! Moi, Lou Bluycki, je veux rentrer chez moi...

J'ai une sensation étrange dans la poitrine ; ça ressemble à de la colère. Et je suis en mouvement. Je nage. Loin au-dessus de moi, j'aperçois enfin une lueur blanche sous la couche de noir. Je m'en approche. Peu à peu, le noir devient bleu, puis s'éclaire, devient un joli turquoise.

Il y a des dauphins ici ? J'ai toujours voulu nager avec des dauphins...

L'eau est chaude, maintenant, et je tremble parce qu'il est difficile d'avancer. Encore un petit effort, Lou ! Voilà, j'émerge à la surface, je vois le soleil... Mes yeux contemplent son éclat éblouissant. Mes narines s'acclimatent à l'air. Puis je distingue le visage de mon père.

— Oh ! Mon Dieu !

La femme médecin regarde papa, qui repousse doucement mes cheveux, en pleurs.

Je voudrais lui dire : « salut », mais je ne peux pas, car il y a quelque chose de dur au fond de ma gorge. Je soulève les doigts de ma main droite et les agite pour lui faire signe, ce qui semble l'émouvoir car il se met à pleurer encore plus. Il agrippe le lecteur de CD posé sur ses genoux. Une chanson des Raimon's, mon groupe préféré s'en échappe : « Hey baby, c'est bon que tu sois revenue ».

Les médecins sont tous autour de moi, ils m'enlèvent le tube qui me permettait de respirer. Certains rassurent mon père sur mon état de santé. Avec ma magnifique voix de Yoda dans Star Wars, je leur demande.

— Qu'est ce qui m'est arrivé ?

— Tu as été renversée par une voiture, tu te souviens ?

— Oui...

La femme enlève ses lunettes et me dit doucement :

— C'était un très grave accident, Lou. Tu as beaucoup de chance de t'en être sortie juste avec quelques blessures superficielles. Tu es restée dans le coma pendant près de dix jours mais maintenant tu es hors de danger.

Une fois tout le monde parti, je suis seule avec mon père ainsi que le bruit des machines auxquelles je suis branchée, qui bipent de temps en temps. J'ai pris la décision de ne pas révéler ce que j'ai vu lors de mon coma à mon père. De peur qu'il me prenne pour une folle ou alors de ressasser des souvenirs douloureux pour lui. Mais il y a une chose que j'ai besoin de savoir. Une question qui n'a pas encore pris forme dans ma tête. C'est à propos d'Emma. Je me tourne puis chuchote :

— Pap's...

— Oui, chérie ?

Soudain, les mots qui tournaient en vain dans mon subconscient s'échappent de ma bouche.

— Et Emma... ?

Papa s'écarte de moi et se tait.

— Eh bien... je pense qu'elle est en soins intensifs. Tu sais je suis resté avec toi tous les jours alors... je...je ne suis pas encore au courant ! Au fait, les médecins ont dit que tu pourrais rentrer dans quelques jours après quelques examens de routine.

— Quand pourrai-je la voir ?

— Je n'en sais rien, maintenant rendors-toi !

Puis il ferma les paupières, au fond je savais que mon père me cachait quelque chose.

Eh oui, c'est le grand moment, cela fait cinq jours que j'attends de rentrer à la maison. J'ai beau n'avoir aucune séquelle, les cauchemars qui me hantent sont bien présents et cela ne s'arrangera pas tant que je n'aurai pas vu Emma.

• Ça fait du bien de rentrer à la maison, non ? dit mon père guilleret.

5

Le visage fermé, je suis assise dans le fauteuil du salon, accompagnée de la pluie tombant à flot dehors.

— Papa, j'ai besoin de savoir... Où est Emma ? Je... sa mère est injoignable. Toi tu esquives le sujet, mais moi je n'ai toujours pas de nouvelles !

— Je...tu...

— PAPA !

— Emma est partie... elle nous a quittés.

Des ondes de choc secouent toutes les cellules de mon être. Dans ma tête, un cri : « Non ! ».

Mon amie, ma seule amie m'a laissée seule. Impossible : les meilleures amies sont censées tout faire ensemble.

— Comment ça ? Non, papa, dis-moi que c'est faux ! Ne me dis pas que tu m'as menti !

— Malheureusement si, je ne te l'ai pas dit de peur que tu retombes dans le coma à cause du choc que ça représente pour toi. Mais il y a autre chose. Pendant que tu étais à l’hôpital, Shirley a organisé l'enterrement d'Emma.

Encore un choc. Mon amie a été enterrée pendant que j'étais inconsciente. Je n'étais même pas là pour lui dire au revoir !

Sans réfléchir je me suis précipitée vers la porte et c'est comme ça que je me suis retrouvée dans les rues en pyjama et en chaussons. Trempée jusqu'aux os sous la tempête. Au moins les gens ne voyaient pas mes larmes. J'arrive au cimetière et là je vois l'endroit où son corps repose, dessus des fleurs multicolores. Et devant sa tombe je m'effondre.

— Emma, tu ne peux pas me faire ça, tu ne peux pas ! Pas toi ! C'est pour ça que tu me disais de la faire toute seule l'association ? Mais moi je ne veux la faire qu’avec toi !!! Je ne veux pas…perdre...ces moments avec toi... J'aurais dû partir aussi, ce n'est pas juste !

Sous la pluie, des éclairs déchirent le ciel et le vent malmène mes cheveux.

— Emma, j'ai besoin de toi, comment je vais faire ? Si seulement tu pouvais me répondre... Emma, où-es tu ? J'espère que tu es là près de moi ? Es-tu avec ma mère ? Emma...Emma, EMMA !

Je ne pourrai pas survivre à cette nouvelle perte. See you later alligator... mais moi je ne veux pas te le dire, pas maintenant ! Dis- moi, que c'est un rêve ou plutôt un cauchemar !

Emma, j'ai mal, tellement mal !

POURQUOI ?!

Je sens des mais se poser sur mes épaules.

— Chut, c'est fini chérie, je suis là, papa est là.

— Papa, la douleur est atroce, ça me rappelle quand... quand maman, je...

— Je sais, je sais. Mais il faut rentrer, d'accord ? On reviendra quand tu voudras. Lou, ça va aller je te le jure. Ça prendra du temps mais tu y arriveras !

J'acquiesce d'un signe de tête même si au fond mon cœur est en miette. En partant nous passons devant la tombe de maman. Et mon père me confie qu'elle lui manque et je lui confie que moi aussi mais qu'elle sera toujours là. Il me sourit et nous partons main dans la main. À la maison nous regardons un film en buvant un chocolat chaud. Mais dans ma tête tout se mélange. J’imagine ma vie en film d'action ou plutôt en film dramatique, ce qui ne me redonne pas vraiment le sourire.

6

Cela fait maintenant deux mois depuis l'accident et comment dire que j'ai pas mal perdu pied. Je ne sais plus comment retrouver le contrôle de ma vie ! Entre les tags sur les murs, les sorties nocturnes avec parfois des gens qui se fichent pas mal de moi et puis mon langage insolent...

Sans oublier que depuis, je n'ai dû assister qu'à cinq cours, enfin je crois. Je n'ai pas le courage de retourner là-bas, voir les élèves, faire comme si rien ne s'était passé et revoir ces endroits où j'ai passé tellement de temps avec Emma. Ça me faisait ça aussi les premiers mois pour ma mère, mais j'avais réussi à surmonter cela grâce à mon amie...

Tout ça pour dire que je ne fais que sécher les cours, au grand désarroi de mon père qui a du mal à s’y prendre avec moi. Aujourd'hui j'ai appris quelque chose d'important. La mère d'Emma est revenue apparemment. Elle était partie avec son fils en Irlande pour se « ressourcer » après l'événement tragique.

— Papa, je dois les voir, s'il te plaît.

— Même par politesse, tu sais, je ne pense pas que ce soit une bonne idée ; ça ne fera que remuer le couteau dans la plaie.

— Je dois les voir !

— Bon... si tu y tiens.

— Merci...

Nous arrivons devant l'immeuble où se trouve leur appartement. À l'extérieur une vitre est brisée mais pourtant le hall de l'immeuble est repeint en blanc. En montant l'escalier, je remarque que mon père n'est pas à l'aise, d'ailleurs moi non plus, il doit aussi sûrement se rappeler que sur ces mêmes marches, il y a quelques mois, il dansait en faisant de claquettes pour nous faire rire. Là il n'est plus question de rire où de danser. Une fois devant la porte, je presse la sonnette avec une certaine appréhension. Shirley apparaît, plus mince que dans mes souvenirs et quelques cheveux blancs sont apparus sur sa tignasse brune. Nous restons un moment à nous regarder dans les yeux sur le palier en attendant qu'elle nous fasse entrer

— Lou, ça fait plaisir de te revoir.

Gus, lui, est dans le canapé en train de regarder la télé.

— Bonjour, moi aussi je suis contente de vous voir, comment allez- vous ?... Je suis désolée... vous devez me détester... je n'aurais pas dû venir !

— Si, au contraire,et pourquoi voudrais-tu que je te déteste ?

— Car je suis en vie.

— Ne te dis jamais ça, ce n'est pas ta faute, Lou. Au fait, j'ai un cadeau pour toi. Je me suis dit que c'est ce qu'elle aurait fait.

Elle me tend le badge d'Emma, symbole de notre amitié, et sa paire de rollers. Celle qu'elle avait dans dans sa main ce jour-là. Un flash me revient, le bruit d'un froissement de métal. Le soleil est oblitéré par un monstre noir qui fonce sur nous. Emma tombe sur moi et puis... rien. Mon corps devient raide, envahi par le souvenir du choc. Papa me tient solidement contre lui.

— Lou !

— Ça va, papa.

— Je suis désolée, je ne voulais pas... je... pardon !

— Ce n'est rien, ne vous en faites pas, merci vraiment ça me touche.

Soudain je remarque une porte avec une pancarte « chambre d'Emma, défense d'entrer ». Shirley suit mon regard et me dit :

— Tu peux y aller si tu veux, pendant ce temps je vais parler avec ton père.

— Merci !

Quand ma main se pose sur la poignée, je ne peux m'empêcher de trembler. Nous avons eu pas mal de moments dans cette chambre orangée. Aux murs sont encore accrochées des photos de nous deux ; aux anniversaires, parcs d’attraction, ou bien encore le Noël dernier ! Une petite larme coule le long de ma joue. La chambre est exactement comme avant. Rien n'a bougé, chaque peluche, décoration ou bien même les vieux emballages de bonbons sont toujours là où Emma les a laissés.

Je ravale mes larmes et rejoins les adultes dans le salon. Avant qu'ils m'aperçoivent, j'entends Shirley expliquer que c'est compliqué mais qu'ils essaient de s'en sortir comme ils peuvent.

— Lou, viens s'il-te-plaît. Shirley voudrait te dire quelque chose.

— Gus et moi allons déménager car cela devient trop dur de rester ici. Tout me rappelle ma fille, rien que de marcher dans le couloir est compliqué car je regarde sa chambre... J'ai l'impression qu'elle est toujours là.

On sent toute la souffrance qu'elle porte en elle.

— Où irez-vous ?

— En Irlande, c'est un endroit très terre à terre qui nous a beaucoup aidés.

— Ça fera bizarre mais je vous promets de bien m'occuper d'elle.

— Je n'en doute pas. Car à ce que j'ai cru comprendre, tu passes beaucoup de temps au cimetière.

Papa lève les yeux au ciel, l'air de rien. Après les adieux, mon père m'annonce une « grande » nouvelle. Demain il faut que je m'habille classe car il a une chose importante à m'annoncer ! Cela titille ma curiosité, résultat je ne dors pas de la nuit.

Pour le repas, je sors le grand jeu, je mets ma plus belle robe (celle noire à fleurs).

Quand je descends dans le salon, mon excitation retombe très vite. Une femme et sa morveuse de petite fille se tiennent près de mon père, coiffé, parfumé et rasé de près. Je ne comprends pas car mon père m'avait pourtant dit qu'il voulait m'annoncer quelque chose mais là nous sommes loin d'être en tête-àtête ! Cela concerne peut-être son travail ?

— Bonjour, madame.

— Oh, je t'en prie, Lou, appelle-moi par mon prénom, Heylee et voici ma fille Joy.

— Salut... dit la petite en sautillant partout.

Si c'était moi, papa n'aurait pas laissé passer ça !

— Coucou mon amour, bien dormi ?

— Ça va, mais papa...

Mon père me pousse sur la chaise avant que j'aie le temps de finir. Le repas se passe en silence pendant que j'essaie d'envoyer des messages subliminaux à mon père. Vers le dessert, je sens un certain malaise s'installer. Puis mon père lâche :

— Bon, Lou, je dois te dire quelque chose, surtout il ne faut pas que tu te mettes en colère ou que tu prennes ça pour une menace.

7

— Tu cherches à m’inquiéter, là ?

— C’est juste que j’ai peur de ta réaction depuis les derniers événements !

— Tu veux juste parler du fait que ma vie est horrible ! Tu sais j’ai l’habitude, je détruis tout autour de moi.

— Chérie... je te présente ma copine Heylee et sa fille qui vont emménager avec nous.

D’un coup je lâche ma cuillère qui tombe sur ma part de gâteau. Ça quoi ? Je crois que j’ai mal entendu, il ne peut pas avoir fait ça,si ?

— Lou tu m’entends… J’avoue que j’avais attendu une meilleure réaction de ta part.

Si, il l’a fait ! Je ne peux pas y croire, non ! À ce moment précis, un torrent de haine et de colère déferle en moi.

— Comment as-tu osé, tu as trahi maman, tu m’a trahie, moi !!! Je ne te le pardonnerai jamais, jamais tu m’entends… JAMAIS !

Pour laisser place à la tristesse.

— Si je peux intervenir, Lou ma puce, je ne veux pas du tout remplacer ta mère, je…

— Toi la briseuse de famille, tu n’as pas à intervenir et sache qu’en aucun cas, aucun, je ne serai ta puce, c’est compris !

— Lou ! Tu vas baisser d’un ton et présenter tes excuses, maintenant, c’est clair !

C’est trop, je vais craquer, il ne faut pas que je craque devant elle.

— Tu sais papa, ton problème, c’est que tu es un égoïste, tu ne penses qu’à toi ! Mais t’as pensé à moi ? À ce que j’allais ressentir… ?

Je m’enfuis en courant dans ma chambre. J’ai la nausée, je chancelle, vite les toilettes.

Par dessus la cuvette, tout ce qui arrive à sortir, ce sont mes larmes de rage et de désespoir.

Finalement j’ai réussi à m’endormir après de longues heures mais même mes rêves sont endommagés par ce qui vient de se passer.

Ça fait maintenant quelques jours que cette sorcière s’est installée dans la maison. Et chaque matin je lui lance mon plus beau regard noir. Mon père et moi sommes toujours en guerre et parfois au repas quelques insultes ou reproches fusent.

L’autre jour, la sangsue qui me sert de « demi-sœur » a sans doute fait la plus grosse gaffe de sa vie et depuis je la déteste !

— Lou, on peut jouer ensemble ?

— Non !

— Allez ! C’est toi le chat.

— Lâche-moi !

— Tu sais, tu es ma meilleure amie et sœur.

Demi-sœur et je n’ai qu’une meilleure amie, Emma, et ce n’est sûrement pas toi qui vas la remplacer.

À ce moment-là, voyant que cela m’affecte, sa mère lui dit de monter dans sa chambre.

Au fait, j’ai appris que cette Heylee était la secrétaire de papa. Charmant ! Elle a bien trouvé l’homme parfait pour avoir une augmentation ! Et puis pour bien faire, le cimetière est en travaux pour un mois. Je ne peux même pas me confier à ma mère ou à ma meilleure amie.

Aujourd'hui, pendant qu’elle faisait les poussières sur le rebord de la cheminée et que sa petite chérie était à la garderie, elle a fait tomber le cadre contenant la photo de maman.

— Non ! Mais tu peux pas faire attention ! c’est précieux !

— Vraiment désolée, je ne voulais pas, je n’ai pas fait exprès.

— Voulais pas quoi... Tu es tellement ingrate au point de t’en prendre à une photo ! Quand est-ce-que tu vas te mettre dans le crâne que toi et ta fille insupportable, vous ne ferez jamais partie de notre vie. D'un coup son sourire s’efface, laissant place à une mine triste et morose.

— Eh, vous pleurez ? Je ne voulais pas en arriver là, par-pardo-n.

— Qu’est-ce-qui se passe, Lou !

— Désolée papa, je ne voulais pas lui faire si mal que ça !

— Ce n’est rien, dit-elle avant que mon père ne prenne la parole. Chéri je vais faire des courses ! Et Lou, j’espère vraiment qu’un jour tu sauras m’apprécier !

Elle franchit la porte, un sac à la main.

— Franchement Lou, je ne te comprends plus ! Qu’ai-je fait à part vouloir reconstruire ma vie ?

— Non papa, tu vas m’écouter ! J’ai perdu maman, puis j’ai été renversée par une voiture et suite à ça, Emma est morte. Donc j’ai perdu la deuxième personne la plus importante pour moi. Puis toi et moi, on ne se comprend plus alors j’ai l’impression de te perdre aussi ! Et maintenant il y a elle qui prend la place de maman. Ne me dis pas que c’est faux car elle dort à sa place, mange à sa place. Et puis sa fille est envahissante. Mais toi tu ne dis rien. Maintenant laisse-moi !

8

Paiement accepté,merci de votre achat.

Voici ce qui s’affiche sur l’écran de mon ordi. Je n’en peux plus. Je vais m’enfuir ! J’ai besoin de respirer, de partir loin de mon père et peut-être qu’il réalisera ce qu’il est en train de faire. Je lui ai piqué sa carte de crédit et j’ai acheté le premier billet pour l’Australie. Pourquoi ?

Eh bien j’ai une grand-mère du côté de ma mère qui a une maison là-bas. Et je sais que maman y était très attachée. Puis l’année dernière Emma et moi y sommes allées pendant les vacances, deux-trois jours, ça me rapproche d’elle et ça me rappelle de bons souvenirs. Et je suis sûre que grand-mère a plein d’histoires sur maman à me raconter !

Je l’ai appelée et elle a accepté tout de suite, elle pensait que ça me ferait du bien après les récents événements. Bien sûr j’ai omis le fait que papa n’est pas tout à fait d’accord avec ça et pour tout dire qu’il n’est même pas au courant. Je devrais y rester trois semaines si tout ce passe bien.

C’est l’heure, ma valise est prête. J’ai juste à sortir par ma fenêtre et le tour est joué. Une fois dehors on n’entend plus que le bruit des roulettes sur les pavés

Arrivée à l’aéroport, je n’ai qu’à montrer mon autorisation de sortie de territoire, signée par mon père. J’ai obtenu sa signature en lui faisant croire que c’était une convocation chez le principal, ce qui ne l’a pas étonné, vu mes innombrables absences.

Arrivée en Australie, je retrouve ma grand-mère qui m’attend. À sa tête elle a l’air très contente.

— Ma petite Lou, comme je suis heureuse que tu sois là !

— Moi aussi grand-mère !

Après des retrouvailles sympathiques avec ma petite mamie chérie et avec sa villa en bord de mer, elle me demande si j’ai prévenu mon père de mon arrivée. Mais avant que j’aie le temps de répondre, elle devine tout sur ma fugue. En même temps il faut dire que je ne suis pas très douée pour mentir ! Pourquoi les mamies ont-elles un sixième sens ? Bizarrement elle ne me dispute pas et me promet de ne rien dire car elle aussi a été jeune. Je l’embrasse et vais me promener en rollers, ceux d’Emma, sur la plage de Sunset Beach.

Voir tous ces gens heureux me redonne un peu le sourire. Emma, je suis sûre que tu aurais été émerveillée. J’avais beau arborer un sourire au fond de moi j’étais complètement perdue. Et si c’était une erreur d’être venue ici, si je me trompais gravement...

Une fois sur la plage, je laisse mes orteils se réchauffer sur le sable chaud. Je m’assois et me laisse porter. Au fond je suis la brise maritime…, je suis le sable chaud…, je suis la glace que le gamin devant moi mange…, je suis le soleil flamboyant…, je suis cette salade d’algues où plusieurs sortes se mélangent, sans qu’aucune ne soit rejetée… Je suis la mer d’un bleu si profond à se noyer. Mais au fond je ne suis rien…, rien même pas une épave échouée.

Perdue dans mes pensées, je ne vois pas ce ballon de volley foncer sur moi, il m’atteint en pleine tête et me sort de ma rêverie.

— Aie !!!

— Excuse, ça va ? Pas trop mal ?

Un beau brun au teint bronzé parsemé de taches de rousseur se tient devant moi.

— Je... non, ça va, t’inquiète !

— Cool, il ne faudrait pas abîmer ce joli visage.

— Tu parles à moi ou au ballon dans tes mains ?

Il rigole et dit :

— Mmm... à la fille devant moi, je crois, celle avec une pincée d’un truc genre « je suis perdue, aidez-moi !».

— Donc je te fais pitié ? Sympa ! Mais tu sais, j’en ai pas besoin, je me fais déjà suffisamment pitié moi-même !

— Non, non, tu te trompes, enfin tu ne me fais pas pitié ! Au fait tu t'appelles comment ?

— Lou.

— Lou, ça marche. Et dis, ça te brancherait de venir prendre un verre avec moi, demain ?

— Euh... pourquoi pas ?

— Génial, rendez-vous demain sur la plage, jolie sirène !

Ses amis qui l'attendent l’appellent.

— Attends, je ne sais même pas comment tu t'appelles !

— Coner, Coner Stanley.

Et il part aussi vite qu'il est arrivé.

Je ne réalise pas trop ce qui vient d'arriver. Puis je reprends le chemin pour rentrer chez grand-mère qui me demande comment ma petite balade s’est passée, je lui réponds que c'était génial.

Nous avons passé la soirée à discuter et à nous remémorer des anecdotes. C'est agréable de se sentir de nouveau légère !

Une fois dans ma chambre, je me laisse tomber sur mon lit et je ne peux m'empêcher de penser au moment sur la plage et à ce garçon.

Est-ce que c’est normal de penser à lui toutes les deux secondes ? Emma, si seulement tu étais là !

9

Cette nuit-là je dormis parfaitement. Ça ne m’est pas arrivé depuis des lustres. Le lendemain après-midi, je prends des heures à choisir ma tenue pour mon « rendez-vous », je pars en direction de la plage. Là, sur le sable, m’attend ce mystérieux jeune homme.

— Salut, Coner c'est ça ?

— Exact, Lou...

— Exact !

Nous rions quelques minutes puis nous marchons jusqu’à un café. Nous discutons de tout et de rien. De nos vies, nos envies et pour une fois depuis longtemps je me sens heureuse. Nous assistons à un superbe coucher de soleil devant lequel nous parlons à cœur ouvert. Il me demande d’où je viens car il ne m’a jamais vue auparavant.

— Eh bien, c’est compliqué à expliquer !

— Essaie pour voir ! Après tout, maintenant tu connais quasiment ma vie entière mais moi je ne sais pas grand-chose au final sur toi, mis à part ton âge et deux trois autres informations.

À travers son regard je distingue une sorte de bienveillance. Je commence à croire que je peux lui faire confiance, comme je le faisais avec Emma, un confident. J’ai tellement de choses sur le cœur, que je lui ai déballé tout sur tout, en commençant par la mort de ma mère jusqu'à ma fugue et ma rencontre avec lui. Ce qui me fait un bien fou !

— Ça alors, c’est beaucoup, je ne sais pas trop quoi dire ? Je suis désolé pour tes proches mais par contre la fugue, c'est carrément trop classe !

— Haha, et ça ne fait rien, merci de m’avoir écoutée ! Après tout, ça ne fait que 24h qu’on se connaît !

— Pourtant, j'ai l'impression de te connaître depuis toujours.

— Je t'en prie, évite les phrases toutes faites.

Il rit et me lance du sable. Il se met à me courir après et c'est à ce moment-là que je comprends que je viens de trouver une personne digne de faire partie de ma vie.

Avant de nous quitter, il me propose de nous revoir pour essayer de me changer les idées et de me faire visiter Sidney un peu plus. J'accepte et il me donne son numéro de téléphone. Quand je rentre, grand-mère est déjà couchée. Alors je monte dans ma chambre sans faire de bruit puis m’allonge dans mon fauteuil, mon portable dans les mains. Je ne sais pas quoi lui envoyer ! « Merci pour cette journée », « c'était cool », non trop simple. Quand soudain je reçois un message. C’est lui !

Tupaille

10

Mauvaise nouvelle ce matin. J'ai appris que le chauffeur qui m'avait renversée et avait tué Emma n’avait pas été condamné. Il n'ira pas en prison car apparemment c'était de notre faute, on n'avait pas regardé avant de traverser, en gros c'est de notre faute si on s'est fait renverser. Emma est décédée et c'est finalement de sa faute ! C'est de notre faute s’il était au téléphone alors qu'il conduisait, ça me met hors de moi ! Ensuite mon père n'arrête pas de me harceler en me bombardant de messages et d'appels auxquels je ne réponds pas.

En descendant l'escalier, je ne découvre pas le visage familier de grand-mère mais...

— Haaaaa !!!

— Mes oreilles, ça ne va pas ! Sinon salut, pas mal ton pyjama.

— Ha ! Ha ! Très drôle, il faut dire que je ne t'attendais pas non plus. Où est ma grand-mère ?

— Je l'ai tuée.

— Quoi ? En plus tu es un psychopathe ? Super !

— Elle m'a dit de te dire qu'elle partait au marché.

— Donc tu ne vas pas m’assassiner?!

— Je verrai bien.

Je n’ai pas pu m’empêcher de rire.

— Ça fait longtemps que tu es là ?

— Non, à peu près deux minutes. Mais...c'est quoi cette petite mine ?

Je lui dis les dernières nouvelles.

— Désolé, c'est dupaille ça ! Pour le conducteur, tu sais parfois la justice n'est pas si juste qu'elle prétend l'être.

— Sans doute, mais je pense à Emma, c'est injuste et je me dis qu'elle ne sera pas vengée ! Pauvre Shirley !

— Par contre, pour ton père tu ne penses pas que ça va trop loin ? Il doit être très inquiet.

— Tu as certainement raison.

Je me suis mise à pleurer dans ses bras.

— Je n’en peux plus, Coner, je te jure j'ai l'impression que je ne m'en sortirai pas.

— T'as juste besoin d'aide et moi je suis là ! Allez, va te préparer, on sort. T'as une autre paire de rollers ?

— Tu me plais de plus en plus.

On s'est retrouvés sur la promenade en rollers, à visiter ce pays, magnifique, en se tordant de rire. Je me moque de Coner qui patauge avec ses patins.

— Je ne vois pas du tout ce que tu trouves dur ! Tu me rappelles vraiment Emma en train de freiner. Pardon, faut toujours que je gâche l'ambiance.

— T'inquiète ,tout va bien. Mais je voudrais bien te voir à ma place. D'ailleurs, d'où tu tiens ce don ?

— De ma mère, elle m’a appris quand j'étais petite, on en a fait des promenades comme celle-là.

— Elle a fait de toi une championne.

— Ouais, championne des bêtises !

— Championne quand même !

— C'est déjà ça.

— Du coup, tu vas faire quoi pour ton père ?

— J'y réfléchis encore.

— C'est à toi de voir. Demain il y a une fête sur la plage, tu m'accompagnerais ?

— Pourquoi pas.

— Super, à demain.

Une fête ! Ça fait des mois que je ne suis pas allée à une fête, ça va être cool !

Ce soir-là, j'arrive sur la plage au bras de Coner. Sur le sable, un énorme feu de camp est allumé et plein de jeunes rigolent.

— Bienvenue à une fête australienne ! Je vais nous chercher un verre, ne bouge pas !

Pendant qu'il va chercher à boire, je me suis assise devant la mer calme et brillante.

— Je suis là.

— J'adore la mer, j'ai toujours voulu avoir une cabane sur le sable, qui serait une sorte d'échappatoire secret.

— C'est joli comme projet, j'avoue que c'est tentant !

— Si un jour j'en ai une, tu viendrais avec moi ?

— Attends, c'est obligatoire ! T'as pas un peu chaud ?

— Non pourquoi ?

— Oh que si ! Tu as chaud, je veux dire que beaucoup de choses tournent dans ton cerveau, donc quelqu'un doit te rafraîchir les idées et tout de suite.

Il m'a prise dans ses bras.

— Coner non ! Je te jure lâche moi sinon tu va le regretter !

Pendant que j'essaie de me débattre, il se met à courir dans l'eau avant de me lâcher dans un gros plouf !

— Je n’avais pas demandé un bain de minuit !

— Si t'avais vu ta tête, c'était trop drôle, « Au secours! Aidez-moi ! », il imite ma voix en prenant des poses théâtrales.

— C'est ce qu'on va voir! Je l'éclabousse de toutes mes forces.

S'ensuit une énorme bataille d'eau au clair de lune. Quand d'un coup nous nous sommes regardés dans les yeux puis dans l'immensité de l'océan nous avons échangé un baiser vraiment « tupaille » puissance huit mille. Une fois sortis de notre monde, je lui lance une dernière éclaboussure en déclarant toute souriante :

— J'ai gagné !

11

Après cette splendide soirée, nous avons passé une semaine exceptionnelle entre sorties main dans la main, baignades, parties de jeux de société avec ma grand-mère (elle nous a écrasés à plate couture). Sans voir le temps passer, nous étions déjà samedi dans le jardin sous les étoiles.

Puis Coner aborde le sujet que j’ai évité, c'est-à-dire mon père ! Il m'explique qu'il doit sans doute être très inquiet et il me demande si j'ai pris une décision. C'est comme ça que je lui dit qu’après y avoir beaucoup pensé, j’ai décidé de l'appeler pour lui dire où je suis. Cette fugue a duré assez longtemps ! Je me sens prête à lui parler, je suis apaisée, surtout grâce à Coner. Mais une question me titille car si je repars, est-ce-qu'il m’oubliera ? Mais il me rassure en me disant qu'on s’enverra des messages tous les jours et que bientôt il sera en grandes vacances et qu'il me rejoindra et peut-être même qu’il continuera ses études en France ! Une fois notre discution terminée, il ajoute :

— Dis, je te plais toujours de plus en plus ?

— Non, je t'aime de plus en plus et comme dirait mon amie, je crois que j'ai trouvé le bon.

Le lendemain, Coner est près de moi, je compose le numéro de papa.

J'entends à peine sa voix qui semble triste et fatiguée. Alors je me mets à pleurer car je m'en veux de lui avoir fait du mal.

— Papa ?

— Lou, c'est toi ? Oh mon dieu, où es-tu ? J'ai eu si peur... je...

Il semble très ému.

— Ne t'inquiète pas papa, je suis en sécurité.

— Je m'en veux tellement, c'est ma faute ! Tu avais raison je n'ai pensé qu'à moi dans l'histoire; c'était trop rapide pour toi.

— Non, c'est de la mienne, au fond c'est moi l’égoïste. Tu n'as pas à t'en vouloir. Tu as cru faire bien et maintenant je sais que tu ne voulais que notre bonheur à tous les deux. Je suis chez mamie Évelyne mais ne lui en veux pas ; c'est moi qui ne voulais rien dire.

— Tu es en... Australie ! Ne bouge pas, je prends le premier avion.

Puis il raccroche.

— Ça ne s’est pas si mal passé.

— Ça aurait pu être pire.

Vers huit heures, je suis sur la plage à tourner en rond. La confrontation va bientôt avoir lieu. Au loin, une silhouette apparaît.

— Je vais faire un tour là-bas, bonne chance avec ton père ! dit Coner

Il me laisse pour que j'affronte mes démons. Je me mets à courir et à sauter dans ses bras de mon père.

— Chérie, j'ai cru t'avoir perdue à nouveau. Mais si je te perdais, je ne pourrais pas survivre, tu es tout ce qui me reste de plus cher.

— Je suis là et je ne partirai plus, promis ! Je m'en veux, je m'étais perdue moi-même. Le monde n'avait plus de sens, j'étais en colère contre tout le monde. Pardonne-moi ?

— Je ne t'en veux pas une seule seconde. L'important, c'est que tu sois là. Tu m'as tellement manqué !

— Je suis redevenue Lou, la vraie Lou. Je n'en veux plus à la terre entière. À maman d'être partie trop vite ! Et de m'avoir laissée vulnérable face à la réalité car je sais qu'elle veille sur nous. À Emma d'être sortie de ma vie sans qu'on ait pu faire la moitié des choses que l'on avait prévues de faire à deux. À moi, d'être restée en vie et de m’être renfermée sur moi-même ! Je ne tiens plus rigueur à Heylee et Joy d'être rentrées dans notre vie. Ni à toi qui m'as toujours soutenue alors que je t'en fais voir de toutes les couleurs. J'avais mal... mais j'ai réussi à panser mes plaies... et j'aimerais rentrer à la maison ! Je me sens prête maintenant. Je ne vois plus la vie de la même façon même si elle n'a pas été tendre avec nous.

— Ma chérie, je t'aime plus fort que tout et sache que ta mère sera à jamais dans mon cœur, tout comme toi ! Et bien évidemment que tu peux rentrer. Je ne demande que ça, t'avoir à nouveau près de moi.

Il regarda Coner qui était revenu.

— Et Coner, il m'a beaucoup aidé.

— Et bien, il pourra te rendre visite....

See you later, alligator !

Lecteur, à toi de faire un choix, si tu décides de suivre les pensées de Lou, continue de lire ce texte. Si tu décides de suivre les pensées d'Emma, clique sur "voir la fin alternative."

Voir la fin alternative

Emma, où es-tu ?
Peut-être suis-je endormie. Quand je me réveillerai, je serai chez moi dans mon lit, bien au chaud, en sécurité. Dans quelques instants, il sera 5h30 et j'entendrai le cocorico de mon réveil.
Papa,prends-moi dans tes bras,s'il te plaît.
Peut-être suis-je morte. Condamnée à nager pour toujours dans un océan noir et sans âme. Non, c'est impossible.
J'aperçois ma mère et Emma, elles me tendent leurs mains, mais dès que je veux les prendre, leurs silhouettes s'enfoncent dans l'obscurité ! C'est bizarre ! Malgré le vide dans lequel je me trouve, je les entends parler, mais leurs voix sont comme des murmures portés par le vent.
Emma me dit :
— Promets-moi de ne pas m'oublier et de ne pas me remplacer !
Sa voix est remplie de larmes.
— Je...je te promets, mais pourquoi tu dis ça ?
— Tu verras, construis-là pour nous deux, l'association, ok... See you later alligator ! Puis elle s’efface.
J'entends aussi Shirley se faire des reproches :
— Si seulement je leur avais dit de rester, Lou aurait évité ça et ne serait pas dans ce fichu lit d'hôpital ! Mon Emma, mon bébé, serait toujours de ce monde...
Puis papa lui dire qu'on ne pouvait pas savoir et que ce n’était pas leur faute. Bizarrement le chauffeur du 4x4 en veut à la personne avec laquelle il parlait au téléphone lorsqu'il nous a renversées.
Je ne vous pardonnerai jamais...
À quoi ça rime de se faire ou non des reproches ? Cela ne change pas la réalité de ce qui s'est passé. Appeler ça « un accident » est plus commode pour tout le monde, parce que, comme ça, personne n'est à blâmer. Je pourrai aussi accuser les glaces. Il devrait y avoir un avertissement officiel du gouvernement : « interdiction de traverser la rue après avoir mangé une glace. Danger de mort » !
Maman,j'ai peur...
Je n'ai pas l'impression d'être morte, et je ne me sens pas vraiment vivante non plus... Et là devant mes yeux, se tient la personne que j'ai toujours rêvé de revoir. Mais pourtant je ne sais pas quoi lui dire. Alors quand elle me dit : « Bonjour ma chérie », je m’effondre, secouée par des sanglots. Puis, comme lors de ma première chute, elle me prend dans ses bras et me fait un de ces câlins qui vous réconforte instantanément, le câlin que j'attendais depuis si longtemps !
— Lou, qu'est-ce que tu as grandi, tu es devenue un vrai petit bout de de femme. Nous n'avons pas beaucoup de temps, alors écoute- moi.
Je hoche la tête encore sous le choc.
— Tu te trouves à l'endroit entre la vie et la mort, mais sache que toi, et toi seule, es la maîtresse de tes choix, ne l'oublie pas. Qu'importe ton choix, personne ne t'en voudra. Car quand tu seras prête, tu devras soit juger que ta vie se termine ainsi et dans ce cas tu me retrouveras dans un autre monde. Soit tu rejoindras ton père qui a bien besoin de toi. Je sais que tu feras le bon choix ! Rappelle-toi la comptine que je te chantais petite : « jolie poupée, regarde au-dessus de toi dans le ciel, un arc en ciel brille de mille éclats. Fais ce que ton cœur te dicte et ça ira. » Tu sais, je serai toujours en toi, là où l'amour est plus fort que tout ! Que ce soit dans quelques instants ou dans très longtemps, on sera un jour tous les trois réunis. Je t'aime.
Je t'aime aussi...

### 4
De nouveau seule, je sais le chemin que je dois prendre même si ça fait mal, mais je dois rejoindre mon père et Emma. J'ai encore des choses à faire sur Terre !
Alors j'essaye de nager pour remonter à la surface, mais les ténèbres ne s'éclairent jamais. Il n'y a pas d'issue, cher cerveau. Nous sommes vaincus. La vague s'écrase, m'enroule encore et encore, me remplit les poumons, m'anéantit sous sa puissance. Je ne sens rien, à part une faible vibration, comme un roulement de tambour qui n'en finit pas. C'est peut-être mon cœur. Ou le souvenir que j'ai un cœur qui bat.
Depuis combien de temps suis-je ici ? Personne ne peut me répondre.
Vous ne pouvez pas me forcer à partir si je ne suis pas prête quoi ou qui que vous soyez ! Moi, Lou Bluycki, je veux rentrer chez moi...
J'ai une sensation étrange dans la poitrine ; ça ressemble à de la colère. Et je suis en mouvement. Je nage. Loin au-dessus de moi, j'aperçois enfin une lueur blanche sous la couche de noir. Je m'en approche. Peu à peu, le noir devient bleu, puis s'éclaire, devient un joli turquoise.
Il y a des dauphins ici ? J'ai toujours voulu nager avec des dauphins...
L'eau est chaude, maintenant, et je tremble parce qu'il est difficile d'avancer. Encore un petit effort, Lou ! Voilà, j'émerge à la surface, je vois le soleil... Mes yeux contemplent son éclat éblouissant. Mes narines s'acclimatent à l'air. Puis je distingue le visage de mon père.
— Oh ! Mon Dieu !
La femme médecin regarde papa, qui repousse doucement mes cheveux, en pleurs.
Je voudrais lui dire : « salut », mais je ne peux pas, car il y a quelque chose de dur au fond de ma gorge. Je soulève les doigts de ma main droite et les agite pour lui faire signe, ce qui semble l'émouvoir car il se met à pleurer encore plus. Il agrippe le lecteur de CD posé sur ses genoux. Une chanson des Raimon's, mon groupe préféré s'en échappe : « Hey baby, c'est bon que tu sois revenue ».
Les médecins sont tous autour de moi, ils m'enlèvent le tube qui me permettait de respirer. Certains rassurent mon père sur mon état de santé. Avec ma magnifique voix de Yoda dans Star Wars, je leur demande.
— Qu'est ce qui m'est arrivé ?
— Tu as été renversée par une voiture, tu te souviens ?
— Oui...
La femme enlève ses lunettes et me dit doucement :
— C'était un très grave accident, Lou. Tu as beaucoup de chance de t'en être sortie juste avec quelques blessures superficielles. Tu es restée dans le coma pendant près de dix jours mais maintenant tu es hors de danger.
Une fois tout le monde parti, je suis seule avec mon père ainsi que le bruit des machines auxquelles je suis branchée, qui bipent de temps en temps. J'ai pris la décision de ne pas révéler ce que j'ai vu lors de mon coma à mon père. De peur qu'il me prenne pour une folle ou alors de ressasser des souvenirs douloureux pour lui. Mais il y a une chose que j'ai besoin de savoir. Une question qui n'a pas encore pris forme dans ma tête. C'est à propos d'Emma. Je me tourne puis chuchote :
— Pap's...
— Oui, chérie ?
Soudain, les mots qui tournaient en vain dans mon subconscient s'échappent de ma bouche.
— Et Emma... ?
Papa s'écarte de moi et se tait.
— Eh bien... je pense qu'elle est en soins intensifs. Tu sais je suis resté avec toi tous les jours alors... je...je ne suis pas encore au courant ! Au fait, les médecins ont dit que tu pourrais rentrer dans quelques jours après quelques examens de routine.
— Quand pourrai-je la voir ?
— Je n'en sais rien, maintenant rendors-toi !
Puis il ferma les paupières, au fond je savais que mon père me cachait quelque chose.
Eh oui, c'est le grand moment, cela fait cinq jours que j'attends de rentrer à la maison. J'ai beau n'avoir aucune séquelle, les cauchemars qui me hantent sont bien présents et cela ne s'arrangera pas tant que je n'aurai pas vu Emma.
• Ça fait du bien de rentrer à la maison, non ? dit mon père guilleret.


### 5
Le visage fermé, je suis assise dans le fauteuil du salon, accompagnée de la pluie tombant à flot dehors.
— Papa, j'ai besoin de savoir... Où est Emma ? Je... sa mère est injoignable. Toi tu esquives le sujet, mais moi je n'ai toujours pas de nouvelles !
— Je...tu...
— PAPA !
— Emma est partie... elle nous a quittés.
Des ondes de choc secouent toutes les cellules de mon être. Dans ma tête, un cri : « Non ! ».
Mon amie, ma seule amie m'a laissée seule. Impossible : les meilleures amies sont censées tout faire ensemble.
— Comment ça ? Non, papa, dis-moi que c'est faux ! Ne me dis pas que tu m'as menti !
— Malheureusement si, je ne te l'ai pas dit de peur que tu retombes dans le coma à cause du choc que ça représente pour toi. Mais il y a autre chose. Pendant que tu étais à l’hôpital, Shirley a organisé l'enterrement d'Emma.
Encore un choc. Mon amie a été enterrée pendant que j'étais inconsciente. Je n'étais même pas là pour lui dire au revoir !
Sans réfléchir je me suis précipitée vers la porte et c'est comme ça que je me suis retrouvée dans les rues en pyjama et en chaussons. Trempée jusqu'aux os sous la tempête. Au moins les gens ne voyaient pas mes larmes. J'arrive au cimetière et là je vois l'endroit où son corps repose, dessus des fleurs multicolores. Et devant sa tombe je m'effondre.
— Emma, tu ne peux pas me faire ça, tu ne peux pas ! Pas toi ! C'est pour ça que tu me disais de la faire toute seule l'association ? Mais moi je ne veux la faire qu’avec toi !!! Je ne veux pas…perdre...ces moments avec toi... J'aurais dû partir aussi, ce n'est pas juste !
Sous la pluie, des éclairs déchirent le ciel et le vent malmène mes cheveux.
— Emma, j'ai besoin de toi, comment je vais faire ? Si seulement tu pouvais me répondre... Emma, où-es tu ? J'espère que tu es là près de moi ? Es-tu avec ma mère ? Emma...Emma, EMMA !
Je ne pourrai pas survivre à cette nouvelle perte. See you later alligator... mais moi je ne veux pas te le dire, pas maintenant ! Dis- moi, que c'est un rêve ou plutôt un cauchemar !
Emma, j'ai mal, tellement mal !
POURQUOI ?!
Je sens des mais se poser sur mes épaules.
— Chut, c'est fini chérie, je suis là, papa est là.
— Papa, la douleur est atroce, ça me rappelle quand... quand maman, je...
— Je sais, je sais. Mais il faut rentrer, d'accord ? On reviendra quand tu voudras. Lou, ça va aller je te le jure. Ça prendra du temps mais tu y arriveras !
J'acquiesce d'un signe de tête même si au fond mon cœur est en miette. En partant nous passons devant la tombe de maman. Et mon père me confie qu'elle lui manque et je lui confie que moi aussi mais qu'elle sera toujours là. Il me sourit et nous partons main dans la main. À la maison nous regardons un film en buvant un chocolat chaud. Mais dans ma tête tout se mélange. J’imagine ma vie en film d'action ou plutôt en film dramatique, ce qui ne me redonne pas vraiment le sourire.

### 6
Cela fait maintenant deux mois depuis l'accident et comment dire que j'ai pas mal perdu pied. Je ne sais plus comment retrouver le contrôle de ma vie ! Entre les tags sur les murs, les sorties nocturnes avec parfois des gens qui se fichent pas mal de moi et puis mon langage insolent...
Sans oublier que depuis, je n'ai dû assister qu'à cinq cours, enfin je crois. Je n'ai pas le courage de retourner là-bas, voir les élèves, faire comme si rien ne s'était passé et revoir ces endroits où j'ai passé tellement de temps avec Emma. Ça me faisait ça aussi les premiers mois pour ma mère, mais j'avais réussi à surmonter cela grâce à mon amie...
Tout ça pour dire que je ne fais que sécher les cours, au grand désarroi de mon père qui a du mal à s’y prendre avec moi. Aujourd'hui j'ai appris quelque chose d'important. La mère d'Emma est revenue apparemment. Elle était partie avec son fils en Irlande pour se « ressourcer » après l'événement tragique.
— Papa, je dois les voir, s'il te plaît.
— Même par politesse, tu sais, je ne pense pas que ce soit une bonne idée ; ça ne fera que remuer le couteau dans la plaie.
— Je dois les voir !
— Bon... si tu y tiens.
— Merci...
Nous arrivons devant l'immeuble où se trouve leur appartement. À l'extérieur une vitre est brisée mais pourtant le hall de l'immeuble est repeint en blanc. En montant l'escalier, je remarque que mon père n'est pas à l'aise, d'ailleurs moi non plus, il doit aussi sûrement se rappeler que sur ces mêmes marches, il y a quelques mois, il dansait en faisant de claquettes pour nous faire rire. Là il n'est plus question de rire où de danser. Une fois devant la porte, je presse la sonnette avec une certaine appréhension. Shirley apparaît, plus mince que dans mes souvenirs et quelques cheveux blancs sont apparus sur sa tignasse brune. Nous restons un moment à nous regarder dans les yeux sur le palier en attendant qu'elle nous fasse entrer
— Lou, ça fait plaisir de te revoir.
Gus, lui, est dans le canapé en train de regarder la télé.
— Bonjour, moi aussi je suis contente de vous voir, comment allez- vous ?... Je suis désolée... vous devez me détester... je n'aurais pas dû venir !
— Si, au contraire,et pourquoi voudrais-tu que je te déteste ?
— Car je suis en vie.
— Ne te dis jamais ça, ce n'est pas ta faute, Lou. Au fait, j'ai un cadeau pour toi. Je me suis dit que c'est ce qu'elle aurait fait.
Elle me tend le badge d'Emma, symbole de notre amitié, et sa paire de rollers. Celle qu'elle avait dans dans sa main ce jour-là. Un flash me revient, le bruit d'un froissement de métal. Le soleil est oblitéré par un monstre noir qui fonce sur nous. Emma tombe sur moi et puis... rien. Mon corps devient raide, envahi par le souvenir du choc. Papa me tient solidement contre lui.
— Lou !
— Ça va, papa.
— Je suis désolée, je ne voulais pas... je... pardon !
— Ce n'est rien, ne vous en faites pas, merci vraiment ça me touche.
Soudain je remarque une porte avec une pancarte « chambre d'Emma, défense d'entrer ». Shirley suit mon regard et me dit :
— Tu peux y aller si tu veux, pendant ce temps je vais parler avec ton père.
— Merci !
Quand ma main se pose sur la poignée, je ne peux m'empêcher de trembler. Nous avons eu pas mal de moments dans cette chambre orangée. Aux murs sont encore accrochées des photos de nous deux ; aux anniversaires, parcs d’attraction, ou bien encore le Noël dernier ! Une petite larme coule le long de ma joue. La chambre est exactement comme avant. Rien n'a bougé, chaque peluche, décoration ou bien même les vieux emballages de bonbons sont toujours là où Emma les a laissés.
Je ravale mes larmes et rejoins les adultes dans le salon. Avant qu'ils m'aperçoivent, j'entends Shirley expliquer que c'est compliqué mais qu'ils essaient de s'en sortir comme ils peuvent.
— Lou, viens s'il-te-plaît. Shirley voudrait te dire quelque chose.
— Gus et moi allons déménager car cela devient trop dur de rester ici. Tout me rappelle ma fille, rien que de marcher dans le couloir est compliqué car je regarde sa chambre... J'ai l'impression qu'elle est toujours là.
On sent toute la souffrance qu'elle porte en elle.
— Où irez-vous ?
— En Irlande, c'est un endroit très terre à terre qui nous a beaucoup aidés.
— Ça fera bizarre mais je vous promets de bien m'occuper d'elle.
— Je n'en doute pas. Car à ce que j'ai cru comprendre, tu passes beaucoup de temps au cimetière.
Papa lève les yeux au ciel, l'air de rien. Après les adieux, mon père m'annonce une « grande » nouvelle. Demain il faut que je m'habille classe car il a une chose importante à m'annoncer ! Cela titille ma curiosité, résultat je ne dors pas de la nuit.
Pour le repas, je sors le grand jeu, je mets ma plus belle robe (celle noire à fleurs).
Quand je descends dans le salon, mon excitation retombe très vite. Une femme et sa morveuse de petite fille se tiennent près de mon père, coiffé, parfumé et rasé de près. Je ne comprends pas car mon père m'avait pourtant dit qu'il voulait m'annoncer quelque chose mais là nous sommes loin d'être en tête-àtête ! Cela concerne peut-être son travail ?
— Bonjour, madame.
— Oh, je t'en prie, Lou, appelle-moi par mon prénom, Heylee et voici ma fille Joy.
— Salut... dit la petite en sautillant partout.
Si c'était moi, papa n'aurait pas laissé passer ça !
— Coucou mon amour, bien dormi ?
— Ça va, mais papa...
Mon père me pousse sur la chaise avant que j'aie le temps de finir. Le repas se passe en silence pendant que j'essaie d'envoyer des messages subliminaux à mon père. Vers le dessert, je sens un certain malaise s'installer. Puis mon père lâche :
— Bon, Lou, je dois te dire quelque chose, surtout il ne faut pas que tu te mettes en colère ou que tu prennes ça pour une menace.

### 7
— Tu cherches à m’inquiéter, là ?
— C’est juste que j’ai peur de ta réaction depuis les derniers événements !
— Tu veux juste parler du fait que ma vie est horrible ! Tu sais j’ai l’habitude, je détruis tout autour de moi.
— Chérie... je te présente ma copine Heylee et sa fille qui vont emménager avec nous.
D’un coup je lâche ma cuillère qui tombe sur ma part de gâteau. Ça quoi ? Je crois que j’ai mal entendu, il ne peut pas avoir fait ça,si ?
— Lou tu m’entends… J’avoue que j’avais attendu une meilleure réaction de ta part.
Si, il l’a fait ! Je ne peux pas y croire, non ! À ce moment précis, un torrent de haine et de colère déferle en moi.
— Comment as-tu osé, tu as trahi maman, tu m’a trahie, moi !!! Je ne te le pardonnerai jamais, jamais tu m’entends… JAMAIS !
Pour laisser place à la tristesse.
— Si je peux intervenir, Lou ma puce, je ne veux pas du tout remplacer ta mère, je…
— Toi la briseuse de famille, tu n’as pas à intervenir et sache qu’en aucun cas, aucun, je ne serai ta puce, c’est compris !
— Lou ! Tu vas baisser d’un ton et présenter tes excuses, maintenant, c’est clair !
C’est trop, je vais craquer, il ne faut pas que je craque devant elle.
— Tu sais papa, ton problème, c’est que tu es un égoïste, tu ne penses qu’à toi ! Mais t’as pensé à moi ? À ce que j’allais ressentir… ?
Je m’enfuis en courant dans ma chambre. J’ai la nausée, je chancelle, vite les toilettes.
Par dessus la cuvette, tout ce qui arrive à sortir, ce sont mes larmes de rage et de désespoir.
Finalement j’ai réussi à m’endormir après de longues heures mais même mes rêves sont endommagés par ce qui vient de se passer.
Ça fait maintenant quelques jours que cette sorcière s’est installée dans la maison. Et chaque matin je lui lance mon plus beau regard noir. Mon père et moi sommes toujours en guerre et parfois au repas quelques insultes ou reproches fusent.
L’autre jour, la sangsue qui me sert de « demi-sœur » a sans doute fait la plus grosse gaffe de sa vie et depuis je la déteste !
— Lou, on peut jouer ensemble ?
— Non !
— Allez ! C’est toi le chat.
— Lâche-moi !
— Tu sais, tu es ma meilleure amie et sœur.
Demi-sœur et je n’ai qu’une meilleure amie, Emma, et ce n’est sûrement pas toi qui vas la remplacer.
À ce moment-là, voyant que cela m’affecte, sa mère lui dit de monter dans sa chambre.
Au fait, j’ai appris que cette Heylee était la secrétaire de papa. Charmant ! Elle a bien trouvé l’homme parfait pour avoir une augmentation ! Et puis pour bien faire, le cimetière est en travaux pour un mois. Je ne peux même pas me confier à ma mère ou à ma meilleure amie.
Aujourd'hui, pendant qu’elle faisait les poussières sur le rebord de la cheminée et que sa petite chérie était à la garderie, elle a fait tomber le cadre contenant la photo de maman.
— Non ! Mais tu peux pas faire attention ! c’est précieux !
— Vraiment désolée, je ne voulais pas, je n’ai pas fait exprès.
— Voulais pas quoi... Tu es tellement ingrate au point de t’en prendre à une photo ! Quand est-ce-que tu vas te mettre dans le crâne que toi et ta fille insupportable, vous ne ferez jamais partie de notre vie. D'un coup son sourire s’efface, laissant place à une mine triste et morose.
— Eh, vous pleurez ? Je ne voulais pas en arriver là, par-pardo-n.
— Qu’est-ce-qui se passe, Lou !
— Désolée papa, je ne voulais pas lui faire si mal que ça !
— Ce n’est rien, dit-elle avant que mon père ne prenne la parole. Chéri je vais faire des courses ! Et Lou, j’espère vraiment qu’un jour tu sauras m’apprécier !
Elle franchit la porte, un sac à la main.
— Franchement Lou, je ne te comprends plus ! Qu’ai-je fait à part vouloir reconstruire ma vie ?
— Non papa, tu vas m’écouter ! J’ai perdu maman, puis j’ai été renversée par une voiture et suite à ça, Emma est morte. Donc j’ai perdu la deuxième personne la plus importante pour moi. Puis toi et moi, on ne se comprend plus alors j’ai l’impression de te perdre aussi ! Et maintenant il y a elle qui prend la place de maman. Ne me dis pas que c’est faux car elle dort à sa place, mange à sa place. Et puis sa fille est envahissante. Mais toi tu ne dis rien. Maintenant laisse-moi !


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Paiement accepté,merci de votre achat.
Voici ce qui s’affiche sur l’écran de mon ordi. Je n’en peux plus. Je vais m’enfuir ! J’ai besoin de respirer, de partir loin de mon père et peut-être qu’il réalisera ce qu’il est en train de faire. Je lui ai piqué sa carte de crédit et j’ai acheté le premier billet pour l’Australie. Pourquoi ?
Eh bien j’ai une grand-mère du côté de ma mère qui a une maison là-bas. Et je sais que maman y était très attachée. Puis l’année dernière Emma et moi y sommes allées pendant les vacances, deux-trois jours, ça me rapproche d’elle et ça me rappelle de bons souvenirs. Et je suis sûre que grand-mère a plein d’histoires sur maman à me raconter !
Je l’ai appelée et elle a accepté tout de suite, elle pensait que ça me ferait du bien après les récents événements. Bien sûr j’ai omis le fait que papa n’est pas tout à fait d’accord avec ça et pour tout dire qu’il n’est même pas au courant. Je devrais y rester trois semaines si tout ce passe bien.
C’est l’heure, ma valise est prête. J’ai juste à sortir par ma fenêtre et le tour est joué. Une fois dehors on n’entend plus que le bruit des roulettes sur les pavés
Arrivée à l’aéroport, je n’ai qu’à montrer mon autorisation de sortie de territoire, signée par mon père. J’ai obtenu sa signature en lui faisant croire que c’était une convocation chez le principal, ce qui ne l’a pas étonné, vu mes innombrables absences.
Arrivée en Australie, je retrouve ma grand-mère qui m’attend. À sa tête elle a l’air très contente.
— Ma petite Lou, comme je suis heureuse que tu sois là !
— Moi aussi grand-mère !
Après des retrouvailles sympathiques avec ma petite mamie chérie et avec sa villa en bord de mer, elle me demande si j’ai prévenu mon père de mon arrivée. Mais avant que j’aie le temps de répondre, elle devine tout sur ma fugue. En même temps il faut dire que je ne suis pas très douée pour mentir ! Pourquoi les mamies ont-elles un sixième sens ? Bizarrement elle ne me dispute pas et me promet de ne rien dire car elle aussi a été jeune. Je l’embrasse et vais me promener en rollers, ceux d’Emma, sur la plage de Sunset Beach.
Voir tous ces gens heureux me redonne un peu le sourire. Emma, je suis sûre que tu aurais été émerveillée. J’avais beau arborer un sourire au fond de moi j’étais complètement perdue. Et si c’était une erreur d’être venue ici, si je me trompais gravement...
Une fois sur la plage, je laisse mes orteils se réchauffer sur le sable chaud. Je m’assois et me laisse porter. Au fond je suis la brise maritime…, je suis le sable chaud…, je suis la glace que le gamin devant moi mange…, je suis le soleil flamboyant…, je suis cette salade d’algues où plusieurs sortes se mélangent, sans qu’aucune ne soit rejetée… Je suis la mer d’un bleu si profond à se noyer. Mais au fond je ne suis rien…, rien même pas une épave échouée.
Perdue dans mes pensées, je ne vois pas ce ballon de volley foncer sur moi, il m’atteint en pleine tête et me sort de ma rêverie.
— Aie !!!
— Excuse, ça va ? Pas trop mal ?
Un beau brun au teint bronzé parsemé de taches de rousseur se tient devant moi.
— Je... non, ça va, t’inquiète !
— Cool, il ne faudrait pas abîmer ce joli visage.
— Tu parles à moi ou au ballon dans tes mains ?
Il rigole et dit :
— Mmm... à la fille devant moi, je crois, celle avec une pincée d’un truc genre « je suis perdue, aidez-moi !».
— Donc je te fais pitié ? Sympa ! Mais tu sais, j’en ai pas besoin, je me fais déjà suffisamment pitié moi-même !
— Non, non, tu te trompes, enfin tu ne me fais pas pitié ! Au fait tu t'appelles comment ?
— Lou.
— Lou, ça marche. Et dis, ça te brancherait de venir prendre un verre avec moi, demain ?
— Euh... pourquoi pas ?
— Génial, rendez-vous demain sur la plage, jolie sirène !
Ses amis qui l'attendent l’appellent.
— Attends, je ne sais même pas comment tu t'appelles !
— Coner, Coner Stanley.
Et il part aussi vite qu'il est arrivé.
Je ne réalise pas trop ce qui vient d'arriver. Puis je reprends le chemin pour rentrer chez grand-mère qui me demande comment ma petite balade s’est passée, je lui réponds que c'était génial.
Nous avons passé la soirée à discuter et à nous remémorer des anecdotes. C'est agréable de se sentir de nouveau légère !
Une fois dans ma chambre, je me laisse tomber sur mon lit et je ne peux m'empêcher de penser au moment sur la plage et à ce garçon.
Est-ce que c’est normal de penser à lui toutes les deux secondes ? Emma, si seulement tu étais là !

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Cette nuit-là je dormis parfaitement. Ça ne m’est pas arrivé depuis des lustres. Le lendemain après-midi, je prends des heures à choisir ma tenue pour mon « rendez-vous », je pars en direction de la plage. Là, sur le sable, m’attend ce mystérieux jeune homme.
— Salut, Coner c'est ça ?
— Exact, Lou...
— Exact !
Nous rions quelques minutes puis nous marchons jusqu’à un café. Nous discutons de tout et de rien. De nos vies, nos envies et pour une fois depuis longtemps je me sens heureuse. Nous assistons à un superbe coucher de soleil devant lequel nous parlons à cœur ouvert. Il me demande d’où je viens car il ne m’a jamais vue auparavant.
— Eh bien, c’est compliqué à expliquer !
— Essaie pour voir ! Après tout, maintenant tu connais quasiment ma vie entière mais moi je ne sais pas grand-chose au final sur toi, mis à part ton âge et deux trois autres informations.
À travers son regard je distingue une sorte de bienveillance. Je commence à croire que je peux lui faire confiance, comme je le faisais avec Emma, un confident. J’ai tellement de choses sur le cœur, que je lui ai déballé tout sur tout, en commençant par la mort de ma mère jusqu'à ma fugue et ma rencontre avec lui. Ce qui me fait un bien fou !
— Ça alors, c’est beaucoup, je ne sais pas trop quoi dire ? Je suis désolé pour tes proches mais par contre la fugue, c'est carrément trop classe !
— Haha, et ça ne fait rien, merci de m’avoir écoutée ! Après tout, ça ne fait que 24h qu’on se connaît !
— Pourtant, j'ai l'impression de te connaître depuis toujours.
— Je t'en prie, évite les phrases toutes faites.
Il rit et me lance du sable. Il se met à me courir après et c'est à ce moment-là que je comprends que je viens de trouver une personne digne de faire partie de ma vie.
Avant de nous quitter, il me propose de nous revoir pour essayer de me changer les idées et de me faire visiter Sidney un peu plus. J'accepte et il me donne son numéro de téléphone. Quand je rentre, grand-mère est déjà couchée. Alors je monte dans ma chambre sans faire de bruit puis m’allonge dans mon fauteuil, mon portable dans les mains. Je ne sais pas quoi lui envoyer ! « Merci pour cette journée », « c'était cool », non trop simple. Quand soudain je reçois un message. C’est lui !

Coner
(image: conversation-visuel-lilou-buyck.png)


### 10
Mauvaise nouvelle ce matin. J'ai appris que le chauffeur qui m'avait renversée et avait tué Emma n’avait pas été condamné. Il n'ira pas en prison car apparemment c'était de notre faute, on n'avait pas regardé avant de traverser, en gros c'est de notre faute si on s'est fait renverser. Emma est décédée et c'est finalement de sa faute ! C'est de notre faute s’il était au téléphone alors qu'il conduisait, ça me met hors de moi ! Ensuite mon père n'arrête pas de me harceler en me bombardant de messages et d'appels auxquels je ne réponds pas.
En descendant l'escalier, je ne découvre pas le visage familier de grand-mère mais...
— Haaaaa !!!
— Mes oreilles, ça ne va pas ! Sinon salut, pas mal ton pyjama.
— Ha ! Ha ! Très drôle, il faut dire que je ne t'attendais pas non plus. Où est ma grand-mère ?
— Je l'ai tuée.
— Quoi ? En plus tu es un psychopathe ? Super !
— Elle m'a dit de te dire qu'elle partait au marché.
— Donc tu ne vas pas m’assassiner?!
— Je verrai bien.
Je n’ai pas pu m’empêcher de rire.
— Ça fait longtemps que tu es là ?
— Non, à peu près deux minutes. Mais...c'est quoi cette petite mine ?
Je lui dis les dernières nouvelles.
— Désolé, c'est dupaille ça ! Pour le conducteur, tu sais parfois la justice n'est pas si juste qu'elle prétend l'être.
— Sans doute, mais je pense à Emma, c'est injuste et je me dis qu'elle ne sera pas vengée ! Pauvre Shirley !
— Par contre, pour ton père tu ne penses pas que ça va trop loin ? Il doit être très inquiet.
— Tu as certainement raison.
Je me suis mise à pleurer dans ses bras.
— Je n’en peux plus, Coner, je te jure j'ai l'impression que je ne m'en sortirai pas.
— T'as juste besoin d'aide et moi je suis là ! Allez, va te préparer, on sort. T'as une autre paire de rollers ?
— Tu me plais de plus en plus.
On s'est retrouvés sur la promenade en rollers, à visiter ce pays, magnifique, en se tordant de rire. Je me moque de Coner qui patauge avec ses patins.
— Je ne vois pas du tout ce que tu trouves dur ! Tu me rappelles vraiment Emma en train de freiner. Pardon, faut toujours que je gâche l'ambiance.
— T'inquiète ,tout va bien. Mais je voudrais bien te voir à ma place. D'ailleurs, d'où tu tiens ce don ?
— De ma mère, elle m’a appris quand j'étais petite, on en a fait des promenades comme celle-là.
— Elle a fait de toi une championne.
— Ouais, championne des bêtises !
— Championne quand même !
— C'est déjà ça.
— Du coup, tu vas faire quoi pour ton père ?
— J'y réfléchis encore.
— C'est à toi de voir. Demain il y a une fête sur la plage, tu m'accompagnerais ?
— Pourquoi pas.
— Super, à demain.
Une fête ! Ça fait des mois que je ne suis pas allée à une fête, ça va être cool !
Ce soir-là, j'arrive sur la plage au bras de Coner. Sur le sable, un énorme feu de camp est allumé et plein de jeunes rigolent.
— Bienvenue à une fête australienne ! Je vais nous chercher un verre, ne bouge pas !
Pendant qu'il va chercher à boire, je me suis assise devant la mer calme et brillante.
— Je suis là.
— J'adore la mer, j'ai toujours voulu avoir une cabane sur le sable, qui serait une sorte d'échappatoire secret.
— C'est joli comme projet, j'avoue que c'est tentant !
— Si un jour j'en ai une, tu viendrais avec moi ?
— Attends, c'est obligatoire ! T'as pas un peu chaud ?
— Non pourquoi ?
— Oh que si ! Tu as chaud, je veux dire que beaucoup de choses tournent dans ton cerveau, donc quelqu'un doit te rafraîchir les idées et tout de suite.
Il m'a prise dans ses bras.
— Coner non ! Je te jure lâche moi sinon tu va le regretter !
Pendant que j'essaie de me débattre, il se met à courir dans l'eau avant de me lâcher dans un gros plouf !
— Je n’avais pas demandé un bain de minuit !
— Si t'avais vu ta tête, c'était trop drôle, « Au secours! Aidez-moi ! », il imite ma voix en prenant des poses théâtrales.
— C'est ce qu'on va voir! Je l'éclabousse de toutes mes forces.
S'ensuit une énorme bataille d'eau au clair de lune. Quand d'un coup nous nous sommes regardés dans les yeux puis dans l'immensité de l'océan nous avons échangé un baiser vraiment « tupaille » puissance huit mille. Une fois sortis de notre monde, je lui lance une dernière éclaboussure en déclarant toute souriante :
— J'ai gagné !

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Après cette splendide soirée, nous avons passé une semaine exceptionnelle entre sorties main dans la main, baignades, parties de jeux de société avec ma grand-mère (elle nous a écrasés à plate couture). Sans voir le temps passer, nous étions déjà samedi dans le jardin sous les étoiles.
Puis Coner aborde le sujet que j’ai évité, c'est-à-dire mon père ! Il m'explique qu'il doit sans doute être très inquiet et il me demande si j'ai pris une décision. C'est comme ça que je lui dit qu’après y avoir beaucoup pensé, j’ai décidé de l'appeler pour lui dire où je suis. Cette fugue a duré assez longtemps ! Je me sens prête à lui parler, je suis apaisée, surtout grâce à Coner. Mais une question me titille car si je repars, est-ce-qu'il m’oubliera ? Mais il me rassure en me disant qu'on s’enverra des messages tous les jours et que bientôt il sera en grandes vacances et qu'il me rejoindra et peut-être même qu’il continuera ses études en France ! Une fois notre discution terminée, il ajoute :
— Dis, je te plais toujours de plus en plus ?
— Non, je t'aime de plus en plus et comme dirait mon amie, je crois que j'ai trouvé le bon.
Le lendemain, Coner est près de moi, je compose le numéro de papa.
J'entends à peine sa voix qui semble triste et fatiguée. Alors je me mets à pleurer car je m'en veux de lui avoir fait du mal.
— Papa ?
— Lou, c'est toi ? Oh mon dieu, où es-tu ? J'ai eu si peur... je...
Il semble très ému.
— Ne t'inquiète pas papa, je suis en sécurité.
— Je m'en veux tellement, c'est ma faute ! Tu avais raison je n'ai pensé qu'à moi dans l'histoire; c'était trop rapide pour toi.
— Non, c'est de la mienne, au fond c'est moi l’égoïste. Tu n'as pas à t'en vouloir. Tu as cru faire bien et maintenant je sais que tu ne voulais que notre bonheur à tous les deux. Je suis chez mamie Évelyne mais ne lui en veux pas ; c'est moi qui ne voulais rien dire.
— Tu es en... Australie ! Ne bouge pas, je prends le premier avion.
Puis il raccroche.
— Ça ne s’est pas si mal passé.
— Ça aurait pu être pire.
Vers huit heures, je suis sur la plage à tourner en rond. La confrontation va bientôt avoir lieu. Au loin, une silhouette apparaît.
— Je vais faire un tour là-bas, bonne chance avec ton père ! dit Coner
Il me laisse pour que j'affronte mes démons. Je me mets à courir et à sauter dans ses bras de mon père.
— Chérie, j'ai cru t'avoir perdue à nouveau. Mais si je te perdais, je ne pourrais pas survivre, tu es tout ce qui me reste de plus cher.
— Je suis là et je ne partirai plus, promis ! Je m'en veux, je m'étais perdue moi-même. Le monde n'avait plus de sens, j'étais en colère contre tout le monde. Pardonne-moi ?
— Je ne t'en veux pas une seule seconde. L'important, c'est que tu sois là. Tu m'as tellement manqué !
— Je suis redevenue Lou, la vraie Lou. Je n'en veux plus à la terre entière. À maman d'être partie trop vite ! Et de m'avoir laissée vulnérable face à la réalité car je sais qu'elle veille sur nous. À Emma d'être sortie de ma vie sans qu'on ait pu faire la moitié des choses que l'on avait prévues de faire à deux. À moi, d'être restée en vie et de m’être renfermée sur moi-même ! Je ne tiens plus rigueur à Heylee et Joy d'être rentrées dans notre vie. Ni à toi qui m'as toujours soutenue alors que je t'en fais voir de toutes les couleurs. J'avais mal... mais j'ai réussi à panser mes plaies... et j'aimerais rentrer à la maison ! Je me sens prête maintenant. Je ne vois plus la vie de la même façon même si elle n'a pas été tendre avec nous.
— Ma chérie, je t'aime plus fort que tout et sache que ta mère sera à jamais dans mon cœur, tout comme toi ! Et bien évidemment que tu peux rentrer. Je ne demande que ça, t'avoir à nouveau près de moi.
Il regarda Coner qui était revenu.
— Et Coner, il m'a beaucoup aidé.
— Et bien, il pourra te rendre visite....
See you later,alligator!

Lilou Buyck